Musique neutre
Si la musique pop (à prendre dans son sens le plus large) est un terrain régulier d’engagements politiques et sociaux, comme en témoigne la profusion de protest songs et de prises de parole des artistes concernés dans les médias ou sur les réseaux sociaux, la musique classique jouit d’une forme de neutralité. Parce qu’elle concerne un public plus restreint, on demande rarement son avis à un(e) violoniste ou à un chef d’orchestre sur la dernière déclaration d’Emmanuel Macron ou le conflit israélo-palestinien. Et lorsque cela arrive, les réponses se veulent le plus souvent consensuelles : la musique est un vecteur de paix, elle s’adresse à tous pour transcender les conflits, elle ignore les différences de genre, de classe ou les frontières pour diffuser un message universellement compréhensible d’harmonie…
Si l’on sort la musique de son contexte historique et social, ce discours est recevable. Lorsqu’on l’étudie comme pure partition, ou si on l’analyse d’un point de vue phénoménologique, en se concentrant sur l’effet qu’elle produit sur nous, la musique dite « savante » ne transmet aucun message explicite : difficile, en effet, de traduire des harmonies, des changements de tonalité ou une orchestration donnée en indignation politique ou en louanges. Si la musique peut avoir recours à un certain figuralisme, c’est-à-dire qu’elle peut imiter une tempête, un chant d’oiseau particulier, ou une bataille sur un sol de glace, elle demeure prisonnière – ou libre, selon le point de vue – de son langage sans parole. Elle évoque, mais ne plaide pas, n’argumente pas, ne raisonne pas. Comme l’écrit Francis Wolff dans Pourquoi la musique ? (Fayard, 2015) : « De l’enfant qui tape sur son assiette avec sa cuillère au flûtiste du Paléolithique, du chanteur des rues à Chostakovitch, tous les musiciens représentent un monde idéal d’événements qui…